07 August 2008

Remarque preliminaire: le haut du clavier etant en panne, les parentheses seront aujourd hui exceptionnellement remplacees par des - et les points d exclamation par *.

Tout avait pourtant bien commence.
Apres avoir packe mes affaires lundi, je suis allee boire un dernier chai a 16h avec mes ephemeres amis a la German Bakery, mais comme j etais en retard d une heure, fidele a mes habitudes, ils etaient deja partis. Je bois quand meme le chai, et me fais donc aborder par un jeune semi indien deguise en occidental qui a trompe mon instinct anti-looser en commencent la conversation routardesquement -tuviendoudepuiquantaienindtuvaouaprerishikesh-. Je lui parle vaguement de mes stages et du fait que j aurai surement du mal a trouver un job tout de suite et il repond : 'but i know for you it will be easy to find a job'. Je me dis qu il va encore me sortir qu en habitant a Geneve, je peux bosser a l ONU ou une banalite du genre, mais il me sort d un air tres serieux : 'you are looking very beautiful, you can be an air hostess'. Sentant que la conversation prend une tangente desagreable, je dis au revoir de mon rictus special gros looser - sur lequel je travaille intensivement depuis mon arrivee en Inde -, saisit mon fidele sac a dos et me barre. Vous allez me dire que vous voyez pas trop en quoi tout avait bien commence alors. Je vous explique: chaque fois que je rencontre un malotru, du genre qui commence a te coller et te suivre - et celui ci avait un fort potentiel -, c est justement le jour ou je change de ville * - cf. Endurant -. Oui c est surement le reiki qui me fait voir le verre a moitie plein plutot qu a moitie vide...
Bref donc le voyage avait bien commence, malgre mes suspicions devant la nuit qui tombait et l oeil goguenard des rickshaws drivers, j en ai trouve un adorable qui m a amene jusque devant le bus pour Haridwar, l a stoppe alors qu il etait en train de partir pour que je monte dedans, bus surbonde dans lequel un vieux aux cheveux henneifies - l equivalent des grands meres aux cheveux violets chez nous je pense - m a courtoisement laisse sa place, a cote de laquelle un jeune gomine a gentiment propose de garder mon sac sur ses genoux plutot que dans l allee - sans essayer de pickpocketer le sac, ou de me prendre en photo avec son natel ou d effleurer ma cuisse 'sans faire expres' comme il est de coutume ds les bus depuis que je suis ici.
Le sejour a la gare a ete des plus rejouissants aussi, j ai rapidement slalome entre les centaines de corps endormis et de silhouettes jacassantes jonchant les quais pour trouver la 'waiting room upper class' . Mes 2 heures d attente sont vite passees en companie d un vieux nepalais tres gentil, et d'une espece de petite psychopathe avec un peigne en plastique plante dans les cheveux et un tuyau en plastique avec une helice au bout dans la bouche -cf photo-, qui m a innocemment pris des mains le samosa huileux que javais achete plus tot dans la rue, et l a engouffre en me fixant de ses yeux affames et hilares. Elle a ensuite fini ma bouteille d eau d un trait, puis est allee la remplir dans les toilettes pour me la retendre d un air victorieux, avant de se faire chasser a coup de Hindustan Times par un pere de famille 'upper class' -il allait quand meme pas toucher une intouchable, par definition... Les 20 heures de train se sont envolees tout aussi vite dans ma petite couchette, ou je me suis rapidement endormie comme un loir qui a trop chaud. - special dedicace a ma voisine de couchette, une maman indienne formidable qui a temoigne d un talent absolument incroyable a calmer sa petite qui s appretait a passer la nuit a hurler, en lui marmonnant doucement dans l oreille, ce qui nous a garanti une nuit calme a toutes trois -.
L arrivee a Varanasi a ete tres facile, presque trop ? le rickshaw driver n'a pas essaye de m amener chez un de ses potes pour obtenir une commission, il m a meme accompagne a pied jusque dans les ruelles etroites du labyrintesque Chowk, retenant mon coude quand je m appretais a glisser sur une bouse, jusqu a la Pooja Guesthouse. Chambre au dernier etage, vue magnifique sur le Gange - qui a triple de volume apres les pluies diluviennes de ces derniers jours -, draps, murs parsemes de geckos et sol delicieusement propre sous les pieds. Malgre mes efforts d explorations dans les recoins, pas meme un cafard cache derriere la chasse d eau ou entre les deux lits jumeaux. Que demander ? Un palak paneer berce par la douce melodie d une ceremonie au temple nepalais adjacent - ce que j ai pris pour une bande de detraques frappant sur des casseroles en inox avec des cuilleres s est le lendemain en fait avere etre des sons de cloche, 'pour sortir les dieux de leur meditation avant de pouvoir leur parler' comme on m'a explique.
Je fais rapidement la connaissance d une bande de francais etudiants en medecine et en droit penal international -*-, avec qui je pars le lendemain matin a 4h30 pour decouvrir le bord du gange en bateau a l aube. Normalement, on peut voir les indiens faire leurs ablutions sur les ghats - les bords de l eau en escalier qui font quasiment tout le bord du gange -, spectacle fabuleux selon le lonely planet et timo. Sauf que la, le Gange est monte de 50 cm, et qu'il n y a plus de ghats. Ou plus que deux ou trois bouts qui ont echappe aux flots impitoyables du fleuve sacre. Je profite quand meme les yeux mi clos du joli lever de soleil rose, des premiers rayons frappants les facades colorees toutes pelees, des quelques indiens se savonnant le dos mutuellement avec le meilleur exfoliant qui soit - la boue sacree tapissant le fond du gange - quand un 'bong' sourd me sort de ma reverie. Une chevre morte. Suivi d'un: 'Qui veut un grany?'
Ah, le francais m avait presque manque pendant ces 2 semaines * Je realise avec amusement que je comprends presque mieux le dialecte Hinglish - surement aussi habituee aux differents accents par cette annee a Leiden - que le francais mitraillette de Rouen. Pendant qu ils retournent dormir, je me laisse emmener aux cremations par Golap -ou un truc du genre-, un mec de lhotel qui m explique tout tres bien et me protege des malfrats qui essaient de raqueter les etrangers dans ce lieu hautement touristique. Pour resumer, Varanasi est une ville sacree ou les Indiens de tout le pays viennent se faire bruler pour en terminer avec le cycle infernal des reincarnations et enfin atteindre le nirvana. On voit 3 buchers, et quelques pieds et morceaux de soie qui depassent, occassionnellement remues a coup de batons par des intouchables dont c est le job. Les femmes n ont pas le droit d etre presentes, car si des larmes sont versees par les proches - et c est bien connu, les hommes ne pleurent pas - l ame du defunt ne peut pas partir. Apres la cremation, les cendres sont versees dans le Gange. Souvent, tout le corps n est pas completement brule, car les familles n ont pas assez d argent pour payer une quantite de bois suffisante. D' autres intouchables sont accroupis dans le Gange les bras enfouis sous l eau comme si ils se curaient les pieds ou autre chose. En fait non. Gopal me dit qu ils fouillent le fond de l eau a la recherche des bagues, dents en or et autres bijoux qui n ont pas ete consumes. Rebondissant la dessus pour le faire parler du systeme de castes en Inde, je lui demande si il a le droit de toucher et parler aux intouchables. 'Oh yes, lots of progress you know, no problem, i can speak them, touch them. the only thing, i have to burn my clothes and take long shower just after '. Lots progress oui...
Reste de journee agreable avec les francais, nous papotons sur le toit en engloutissant des pancakes et des lassis a la mangue et en regardant defiler l occasionnel cadavre sur le fleuve, l un des leurs s eclipsant regulierement pour retapisser les toilettes du resto, et reapparaissant un quart d heure plus tard l air livide. A leur depart, a 15h, je m aventure enfin dans les dedales de Varanasi d un pied guilleret, souriant aux vaches qui ont presque l air prehistorique, au ciel poussiereux a travers les dreadlocks de fils electriques qui pendant au dessus de ma tete, aux indiens crasseux qui crachent leur paan - cette mixture rougeatre d herbes et de nicotine qu ils machonnent a longueur de journee - a mes pieds... Mes pas m entrainent a la porte d un ashram turquoise et fleuri, ou je me lance pour une seance individuelle de hatha yoga, mes muscles naissants fremissants d enthousiasme a l idee de poursuivre leur entrainement commence a Rishikesh.
Et la, comme on dirait dans un documentaire France 2, c est le drame. Mr Radesh et sa bedaine moulee dans un wife beater a la proprete toute relative s enfonce dans une chaise en plastique, s adressant a moi d un air hautain, assise par terre bien droite comme une bonne eleve, dans la position du lotus. Il commence un cours magistral sur la philosophie et le mode de vie yogique, m expliquant que je dois tous les matins boire un litre d eau chaude par le nez et le revomir pour me purifier l interieur. Bon j ecoute d une demi oreille en attendant le debut des exercices physiques. Apres m avoir ordonne de respirer profondement en maintenant mes bras et mes doigts dans une position peu confortable pendant 15 minutes, il annonce enfin que je peux me lever pour la salutation au soleil. Ouf. Sauf qu il s avere tres rapidement que la flexibilite de Mr Radesh et ses reelles aptitudes au yoga sont loin de rivaliser avec sa capacite a debiter du bullshit new age, que mes pieds glissent sur ce stupide tapis miteux, et que loin de corriger mes postures, cet imposteur me mitraille d ordres stupides, en restant le posterieur engonce dans sa chaise. Quand il m ordonne de reciter des mantras interminables dont le sens m echappe, forcement, je decide que meme si le ridicule ne tue pas - quoique mourir a Varanasi a l'air tres hype - je ne vais pas laisser ce plouc saboter ma bonne humeur. Je simule une soudaine douleur a l estomac, attrape mon sac et ma bouteille d eau, lui jette un billet de 100 roupies, et m eclipse, ignorant ses 'you not feel bad, i can give you reiki, you know reiki ? come back *'.
Je prends une grande respiration, replonge dans les ruelles puantes d un pas moins guilleret mais decidee a 'm'evader, me laisser charmer par l insolite, attendre l inattendu' qui est sense m attendre dans ce quartier selon le guide du routard. Je marche, scrute les petites echoppes de bracelets, dis 'no thank you' aux petits vendeurs qui meriteraient tous un diplome avec mention de la Indian National School of Harassment, quand une odeur acre et d enormes tas de bois mouilles me signalent que je suis arrivee, bien contre mon gre, au lieu de cremation. Des pas presses, accompagnes de chants-mantras un peu lugubres et de clochettes resonnent derriere moi, je me fais ejecter sur le cote et regarde defiler le convoi funebre. 5 hommes tranportent un brancard en bois sur lequel repose un corps enveloppe dans un grand tissu de soie rose vif. Je les suis, sans vraiment savoir pourquoi. A ma droite, un homme saisit un gros morceau de bois, elance ses bras apparemment pour le casser sur le sol. Un petit chien noir traverse mes jambes en gambadant, et l indien fracasse son morceau de bois sur son dos. Le chien hurle et se tord par terre en gemissant, puis finit par se relever et s enfuit. J ai envie de crier, de prendre des mains d un sadhu le stupide trident qu ils transportent pour symboliser Shiva, et de transpercer cet abruti avec, de lui verser du piment dans les yeux et de le balancer dans le Gange. Au lieu de ca, je ravale mes larmes, reste stoique, me retourne et marche tres vite jusqu a la guesthouse, maudissant ce pays de degeneres. Je peux voir la mort, la misere, les moignons des lepreux, mais, au risque de donner envie a certains de fracasser ma tete contre les murs, je ne peux pas supporter de voir la violence contre un animal innocent.
Je m assois sur le toit de l hotel d un air absent. Alors que j etais partie pour un channa masala, je commande un sandwich au fromage, comme une revanche debile contre ce pays qui me rend dingue. Un des 10 jeunes employes desoeuvres du resto - c est la baisse saison - s assoit a ma table. 'you look like you missing sweden. can i tell you, you are looking very beautiful tonight. you have boyfriend ?'. Je ressors mon rictus, laisse echapper un goodbye moisi entre mes dents, garde un 'can i tell you, you are looking very casse couille tonight and i hate your fucking country' dans la gorge et me refugie dans ma chambre, avec mes geckos.
Je dors 14h, encore une fois en esperant me reveiller loin, loin d ici... A 9h, je respire bien profondement, me rappelle l experience Rishikesh, ecoute en chaine 'Lets dance to Joy division' des Wombats, 'Eulogy' des Flatliners et 'Mother Mary' de Foxboro Hot Tubs -mon trio magique pour baisse de regime inaugure pendant le redaction de mon memoire - et decide que cette ville doit bien avoir quelque chose de chouette a offrir.
Une journee de promenade sans but en compagnie d une japonaise quasi muette, de mueslis bio aux fruits a la German Bakery du coin, la visite d un temple dedie a Jupiter, decore comme un arbre de noel sauf qu a la place des boules c est des bananes et des pommes, une seance shopping -forcement- et un moment a bavarder avec deux vendeurs des rues, l un se disant sadhu a la dentition quasi absente et aux gencives sanguinolentes - comme quand on reve qu on s eclate la tete en avant et la bouche ouverte ds un escalier sauf que la c est vrai - et l autre un vieux qui m expliquait les dieux hindoux avec des yeux qui disaient qu il avait pas que fume des cigarettes ces derniers jours, m'ont ramene a un etat relativement calme. Je suis retournee voir les cremations avec une bande de japonais, espagnols et italiens fraichement rencontres, mais le feeling n est pas passe aussi bien que les fumees mortuaires qui ont envahi mes narines, mon palais et mes bronches, et je me suis de nouveau refugiee sur le toit de l'hotel, cette fois avec mon ipod et un livre pour donner un signal clair a ces ploucs de serveurs - qu ils n ont bien sur pas compris. J ai donc du cracher le mot magique: 'sorry but i need to be alone tonight'. Suffisait de demander.

1 comment:

Zofocle said...

Merci !
Et courage pour la suite des evenements, Varanasi, c'est pas facile, je crois qu'on y pète facilement un plomb. Il te faut juste un peu de temps pour t'acclimater, je te fais confiance, tu vas finir par apprécier (facile a dire moi qui suis tranquille à mon bureau avec des parenthèses et des points d'exclamation et qui ne doit pas mettre au point un rictus pour éviter de s'épancher en vilains mots sur le premier lourdeau qui passe... Je sais).
Bisous