Ca y est, j ai trouve un coin de paradis dans ce monde de brutes ! Ca s appelle Bodhgaya. Ou plus precisement, Temple Street, a Bodhgaya. Pour la premiere fois depuis bientot trois semaines, je me suis ecarquille les yeux devant un ciel bleu clair, j ai pu humer l odeur des banyans et des frangipaniers (mes connaissances en botanique s arretent la, je vous rassure), j ai entendu les oiseaux discuter et meme le flap flap de mes havaianas sur le sol ! Apres le smog epais des grandes villes, l air graisseux, enfume et nauseabond et le vacarme incessant, c est une veritable resurrection pour tous mes sens. Il faut dire que Varanasi avait laisse des sequelles.
Je remonte l horloge temporelle de 3 jours. Pour ma derniere journee dans la capitale de la mort, j ai decide de m eclipser a Sarnath, un village a 10 km de la ou Buddha aurait prononce son premier speech, et ou forcement, les buddhas, stuppas (le fameux Dhamekh Stupa dont vous avez tous entendu parler) et autres boudhisteries ont fleuri depuis. Je me suis dit qu un peu d air frais ferait du bien a mon nez qui coulait a flot et a ma gorge qui brulait comme si j avais avale des cendres depuis ma visite aux cremations. Sur le chemin, j ai embarque Takesh, un japonais a la carrure de Schwarzenegger (bon j exagere un peu mais c est par rapport aux japonais habituels, c est un peu l impression que j ai eue) qui s est avere des plus utiles pour me debarasser des hordes de lourdeaux. Non il ne les a pas fracasses un a un, a coup de coude dans le plexus, ou de genoux dans la tete ou toute autre acrobatie a la Total Recall, non non. Sa simple presence a suffit pour que mon statut passe de 'depravee occidentale' a 'objet insignifiant qui marche dans le sillage de l'Homme', et je me suis fait royalement ignorer toute la journee, laissant Takesh gerer la situation. Parfois, la mysogynie indienne a du bon. Bon j ai quand meme pris en main le marchandage de rickshaw, pour eviter de payer 200 dollars la course de 20 minutes. Quelques choses que j ai decouvertes au sujet du japonais en voyage, justement (je parle du japonais voyageant seul, espece distincte du japonais en groupe) :
1. Le japonais comprend litteralement 20 mots d anglais, il sait en prononcer la moitie, mais il s en fout, il part quand meme. Le japonais est donc couillu.
2. Consequence directe, bien que couillu, le japonais se fait grave couilloner (c est moi ou je deviens vulgaire?), et ce des qu il pose le pied sur le tarmac de l aeroport. Takesh s est fait refiler un vol Delhi Varanasi pour 300 dollars, alors que le meme trajet pour un train de nuit en 1ere classe lui en aurait coute 50. Il s est ensuite fait soutirer 3000 rupees pour la traditionnelle balade en bateau d une heure devant les ghats au lever de soleil a Varanasi, que j ai payee 50 rupees. Alors soit les guides touristiques japonais sont vraiment pas terribles, soit ils sont ecrits par des gens qui sont de meche avec les arnaqueurs indiens. Non c est pas juste Takesh qui est pas doue, deux autre petits japonais fashion victim que j ai rencontre a Bodhaya se sont fait refiler 1 kg d epices pour chai pour 2000 rupees (50 balles suisses, l equivalent de 10 nuits d hotel...).
3. Le japonais veut vivre l experience indienne a fond. Alors que Hiro et son pote se font toute l Inde du Nord, Rajasthan, Vallee du Gange, Agra et Himalaya inclus en 10 jours (duree moyenne de sejour dans chaque endroit : 8h ), Takesh a decide que se baigner dans le Gange a Varanasi devant le ghat des cremations allait lui apporter le salut (en plus des vers et des infections). Il s est donc immerge, visage inclu et a patauge pendant 5 bonnes minutes (quand je vous dis qu ils sont couillus), devant les yeux ecarquilles de son bateau driver.
4. Le japonais mange comme un gros degoutant, le nez colle a son assiette, dans le prolongement de ses epaules qui s arquent vers l avant comme les voutes d une cathedrale gothique.
Donc pour en revenir a Sarnath, nous nous sommes donc traines de buddha en buddha, accable par une chaleur difficilement imaginable, pour finalement s ecraser sur des chaises en plastique devant le Deer Park, un parc a biches, l endroit ou Buddha exhalait tellement de serenite que meme les biches se sont approchees pour ecouter son sermon. Apparemment on exhalait pas vraiment de serenite, ou alors elle etait cachee par l odeur de la sueur, car les biches sont restees a distance. Jolie visite, mais que jai eu un peu de mal a apprecier a sa juste valeur, toute occupee que j etais a drainer ma fuite nasale toutes les deux minutes, conservant religieusement mon venerable rouleau de papier toilette, qui maigrissait aussi vite que Buddha dans sa phase mystique, dans un sachet en plastique. Le soir, apres un diner avec le gang japonais-hispanique, j ai un peu senti la fievre monter et me suis rapidement eclipsee, verifiant a deux fois que mon loquet etait bien ferme apres avoir recu un sms douteux: 'Anjlee uttam nager i love you my deear my sweet hart . Sanjay Guptao', provenant peut etre d un des serveurs du resto (quant a savoir comment il aurait eu mon numero, c est un autre histoire mais il vaut mieux etre prudent non ?). La prophetie du malotru a donc encore eu lieu !
Sans une pointe de nostalgie en quittant Varanasi le lendemain matin, j ai traine ma carcasse fievreuse jusqu a la gare, ou, comble de bonne idee, j avais reserve mon permier voyage en train en classe populaire. Comprenez, sans air climatise, avec des handicapes ou lepreux qui rampent entre les banquettes en remuant vaguement la crasse avec un petit balai maigrichon, te tirant le bas du pantalon pour une piece, des vendeux ambulants qui s egosillent dans ton oreille 'CHAICHAICHAI', 'PANIBOTTLEPANIBOTTLEPANIBOTTLE', 'COTELETESCOTELETESCOTELETES' les uns a la suite des autres (NB. pani ca veut dire eau, et coteletes en fait c est pas de la viande, c est des 'cutlets', des petites steak de legumes frits a moult reprises), et une famille de gros sikhs sympathiques mais peu hygieniques. Mr Singh nettoie ses mains suantes avec une petite serviette en eponge, apres s etre cure le nez jusqu au cerveau. Il balance ensuite la serviette a Mme Singh, qui essuie avec ses doigts bien huileux du cutlet et des pois chiches frits aussi qu elle picore depuis le debut du trajet, et eponge affectueusement le front de son grand garcon couche sur ses genoux, toujours avec la meme serviette. Finalement, Mlle Singh la reclame aussi, et s en sert comme oreiller pour s'etaler sur sa couchette (elle va quand meme pas mettre sa joue delicate contre le plastique degoutant de la banquette !). Malgre ce spectacle distrayant et le vacarme d un orage impressionnant s abattant sur les vitres du compartiment, mes paupieres se font lourdes, lourdes et je m assoupis, les mains agrippees sur mon petit sac et les pieds securisant mon gros sac a dos par terre, priant pour me reveiller avant Gaya mais incapable de trouver la force de sortir mon telephone pour prorammer une alarme, encore moins pour demander a la famille Crado de me reveiller.
Mais, aussi cliche que ca puisse paraitre, j ai decouvert que je peux faire confiance a mon subconscient, mes reflexes ou mon systeme sympathique, ou mon ange gardien, ce que vous voulez, pour me faire reagir correctement dans les situations critiques, comme celle ci, et je me suis reveillee comme une fleur 10 minutes avant l heure prevue d arrivee, c est a dire 1h30 avant l heure reelle d arrivee. La fleur que j etais s etant entre temps bien fletrie dans la fournaise du train, je me suis collee a deux jeunes japonais en birkenstock, coiffes emo et vetus de debardeurs roses moulants, me disant qu ils allaient surement dans un hotel clean, et me suis greffee a leur rickshaw afin d eviter de me faner completement devant la gare de Gaya (fin de la metaphore florale, promis).
Car Bodhgaya est une petit village (bon de 30 000 habitants quand meme), a 13km de Gaya, une grosse ville moche et poussiereuse. Verdure et rizieres commencent a apparaitre et je respire enfin un peu. Nous traversons une zone d entrainement militaire, ou notre chauffeur zele fait la course avec un camion de soldats qui n ont pas l air de rigoler dans leur ensembles beiges, et finalement ces etals familiers d oranges vertes, ces echoppes remplies a craquer de sachets de paan, savons, bonbons au lait bouilli et echantillons de shampooing multicolores, ces cuisines ambulantes ou s accumulent des pyramides de samosas annoncent l arrivee dans le village. Nous nous installons a la Rainbow Guesthouse, propre, chambres spacieuses mais a mon grand desarroi pas de roof top terrasse. Apres un ptit tour de reperage et un rapide repas dasn une gargote, la nuit tombe et je me refugie dans ma chambre, epuisee (oui, apres une premiere journee dans une nouvel endroit, je me 'refugie' toujours, car l inconnu est toujours hostile et menacant ! mais maintenant je sais que ca passe au moins...).
Le lendemain, le ciel brille fort et malgre la cuisson ambiante, je revis, je decouvre le plaisir de marcher, et marcher d un pas tranquille, sans se faire harceler par les rickshaw, les vendeurs, les bandes de jeune coqs qui roulent des mecaniques... (bon, je mentirais si je disais qu on me laisse vraiment tranquille, mais c est minime compare a ce que j ai pu vivre a Varanasi, et mes aptitudes a ignorer, remballer gentiment les importuns et dire 'tchelo tchelo' aux vrais lourdeaux se sont probablement developpees). (en meme temps, c est juste maintenant que je dis ca que le mec du internet cafe commence a me les briser menu, m interrompant toutes les 2 secondes, et me forcant a me faire enlever mes ecouteurs pour me sortir une banalite foudroyante genre : 'switzerland is number one for chocolate').
Bodghaya, c est en tout et pour tout 3 ou 4 rues, parsemees d une trentaine de temples bouddhistes de tous les pays (ou il y a un minimum de boudhistes on s entend, il n y a pas de temple uruguayen ou norvegien par exemple). Mais le clou du spectacle, c est quand meme le Mahabodhi Temple, construit par l empereur Ashoka, un fan de bouddhisme, vers -200, detruit et reconstruit plusieurs fois. Pourquoi il a construit ce temple ici ? Parce que c est a cet endroit meme, sous un arbre, qu on a ensuite appele le Bodhi tree, que Buddha a recu l illumination. Petit rappel des faits: avant d etre une superstar adulee par les jeunes cools du monde entier et Richard Gere, Buddha s appelait Siddartha et vivait une existance de luxe et de plaisir dans le royaume de son papa au Nepal, un peu a la Paris Hilton. Sauf qu un jour, en se baladant hors des murs du palais, il decouvre la vieillesse, la maladie et la mort (scoop!). Il s ecrie alors: 'sacrebleu, comment vivre avec toute cette misere ?' ou encore 'comment stopper toute cette souffrance?' (les versions different, mais vous comprenez l esprit). Il largue donc femme et enfant (c est bien connu, les heros ont toujours une vie familiale desastreuse) pour aller trouver une reponse. Apres avoir ete decu par differents sages qui n ont pu l eclairer, il decide de s assoir sans boire ni manger pour mediter sous un arbre pendant 6 ans (moi je suis sure qu-il a choppe quelques figues qui tombaient, il aurait pas survecu sinon) et tout d un coup, tadada ! la terre tremble, c est l illumination. Je suis pas encore tres aware de ce que contenait cette illumination, parce que j en suis qu au milieu de mon livret mais ca a a voir avec le fait que la souffrance vient du desir et de l envie, qu il faut donc supprimer pour eliminer la souffrance. Soit.
Donc autour de cet arbre magique, qui a ete detruit et replante aussi, s est construit un sanctuaire de centaines de stupas (j ai pas vraiment de traduction pour ca, c est un ptit monument religieux en forme de mont ou en pointe, ou il y aurait soi disant des reliques de buddha ou d autres saints...), entourant le temple lui meme, enorme, et a l interieur duquel un gros buddha est enferme dans une vitrine. Je n ai pas eu le temps de m attarder sur les details des lieux, m etant fait entrainer par un vieux saddhu pour un tour express du perimetre, suivi dune visite de temple alentour, du palais du Maharadjah (je savais pas que ca existait encore, et d ailleurs il divaguait ptetre un peu le vieux, mais il ya avait effectivement une peau de tigre, avec la tete, au pied d un lit a l allure royale au milieu d une cour, donc peut etre...) et du village de Sujata.
En fait, je lui suis assez gree de m avoir sauvee d une seance photo interminable et involontaire au bord du bassin a carpes... Je m etais tranquillement assise pour mediter sur la condition humaine (et lire mon guide 'Mahabodhi Temple - a Tourist Introduction') sur les bords du bassin, a observer cette masse d indiens balancer poignees de riz apres poignee, puis des droles de boulettes de pate, sur lesquels des centaines de carpes dodues et moustachues se jetaient dans un pogo aquatique geant et bruyant. Je me demandais vaguement si les indiens avaient des limites ou s ils allaient carrement se mettre a lancer des samosas dans l eau quand une petite voix m appelle 'photo madam please?'. Bon ok, juste une parce que le gosse avait une petite bouille mignonne. D accord, une pour ton pote aussi. Oui bon, une derniere pour ton grand frere. Et les copains du grand frere. Et les potes du potes, les parents, les grands parents, les bebes, les cousins....J ai vaguement ressenti ce que les Peres Noel des centre commerciaux doivent subir avec les defiles de gamins sur leurs genoux pour les seances photos au mois de decembre. Sauf qu ils se font payer, eux. (Bon mais ils se font surement aussi pisser dessus par des gosses terrorises de temps en temps).
Bref, je suis avec joie Lakhman Baba, qui sera mon guide pour l apres midi. La visite a Sajuta est particulierement agreable, nous traversons un pont sous une brise rafraichissante, marchons pendant une vingtaine de minutes comme des equilibristes sur d etroites bandes de terres entre les rizieres completement immergees pour finalement arriver au temple local, erige a juste titre en memoire de Sujata, la brave femme qui a donne du riz au lait a Siddharta apres son anorexie meditative. Rien d incroyable mais ambiance delicieuse et tranquille, bercee par les mantras marmonnes chantesquement par mon guide qui egrene son chapelet d un air nonchalant. Du coup,je m y mets aussi (oui oui, les colliers achetes a Rishikesh avaient en fait pour premiere fonction d etre des chapelets de priere, pas des accessoires vaniteux...) et apprends quelques mantras.
Je commence ma soiree avec une seance de meditation zen au temple japonais (ou je retrouve mes deux comparses) de 17 a 18h. Assise en lotus sur un petit coussin de meditation, les mains posees l une sur l autre et les yeux regardant a 45 degres (c est Hiro qui a dit qu il fallait faire ca), je fixe une tache du tapis en ecoutant le jeune moine marmonner dans son absence de barbe avec une voix monocorde, en faisant bling, pong, bong ou booooog avec divers objets a des moments impromptus (je sais pas pourquoi, j ai pense a Cocorosie) mais bizarrement, malgre mon pied droit completement endolorie et les saumons ruisselants dans mon dos, je suis entree dans un etat semi meditatif tres agreable, regrettant presque le booooong de fin.
Le soir, apres un rapide diner tibetain de nouilles au tofu un peu graisseux mais rassasiant, je patauge dans les flaques jusqu a ma guesthouse, sous une pluie battante et dans le noir quasi complet, panne d electricite oblige. En arrivant, j enleve mes vetements trempes et boueux (il faut savoir que mes havaianas sont tellement elastiques et confortables qu a chaque 'schlap', je catapule une giclee de tout ce sur quoi je marche avec mes pieds contre mon dos) et commence mon rituel de verification que les loquets des fenetres et portes sont bien fermes (non c est pas un TOC, ca s appelle de la prudence). En arrivant au 4eme loquet de la fenetre qui donne sur l interieur de l hotel, je vois qqchose bouger. Horreur, c est l occupant indien de la chambre d en face qui me voit depuis sa propre fenetre me tremousser a poil en secouant mes loquets ! Deja que toutes habillees, ils nous prennent pour des femmes de faible vertu, alors la je suppose qu il prend ca pour des avances directes ! Je rabats le rideau horrifiee, et apres avoir fini le tour des loquets, fonce dans ma douche, priant pour que les portes soient solides.
Une heure plus tard, ma minute parano est terminee et j ecoute Arctic Monkeys en chantonnant et en improvisant qques mouvement de yoga avec mes pieds et en lisant mon livret 'Life of Buddha - A Colouring Book' (tous les autres livres sur la vie de Buddha pesaient un demi quintal) quand on toque a la porte. Fort. Et une deuxieme fois. Mon sang se glace. J enfile tous les habits que je trouve, m empare de ma bouteille d Aquafina 2 litres comme d un gourdin, garde a portee de main mon set fourchette/couteau/cuillere SIGG et entrouve la porte de 3 milimetres... pour apercevoir les tetes heberluees de Hiro et son copain peroxyde, qui venaient me dirent au revoir avant de partir pour Calcutta....
2 comments:
Salut !
Je me demandais un truc en lisant tes péripéties: ce voyage a-t-il un but précis ou es-tu partie tranquille en vacances ? Parce que ça n'a pas l'air très relaxant ou reposant, ça ressemble plutot à un voyage initiatique obligatoire...
biz
Dis donc, tu me fais plaisir lectrice assidue !
Ta question est des plus pertinentes et d ailleurs ca fait 5 minutes que j y reflechis sans trouver une reponse nette. Un but precis, certainement pas, des vacances tranquilles ou un voyage initiatique obligatoire, pas vraiment non plus. Je crois que j avais envie de partir seule, pour etre libre et bouger selon mes envies du moment (apres cette annee un peu hardcore academiquement parlant), et bien sur, probablement aussi pour me 'prouver' que je peux le faire.
J ai choisi ces endroits un peu instinctivement, etant donne que j ai eu tres peu de tps pour preparer le voyage, et j essaie de prendre les choses comme elles viennent... Profiter des belles choses et essayer de retirer qqchose des moments difficiles. Je realise que le blog est souvent cynique, mais j imagine que c est un moyen pour 'purger' ces moments justement. Bref, et toi NY ? vacances ? ou conference sur E.Coli ;) ?
zoubi
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