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16 November 2009


Namaste !

Comme vous pouvez le constater, mon coefficient de népalitude augmente à vue d’oeil. Je dis "ketcha ?" (comment ça va ?), "tiktcha !" (ça va !), "pheri bhetaulah" (à bientôt), "bhahnselai hahmro tahriph dinuhos" (veuillez féliciter le chef pour ce mets délicieux – ce qui a tendence à faire pouffer de rire les serveurs). Mais il y a surtout ce mot magique : "HAJUR !", qu'il faut prononcer à moitié entre "hajoure" et "hadzoure", et qui signifie "oui", "d’accord", "pardon j’ai mal compris ?", "Monsieur", "allo?", "j’aimerais une pizza quatre fromage avec sauce piquante", etc. Très utile donc.
Les tentatives ne sont pourtant pas toujours couronnées de succès. Jeudi dernier, au bureau, 10 heures tapantes. Notre "didi" locale, comprenez la personne en charge de nous apporter notre thé (comprenez du lait sucré à outrance avec un peu de lait) à 10h et à 15h débarque dans le bureau des stagiaires avec sa théière en métal et son joli sari turquoise. Alors que l’on trépignait déjà depuis 10 minutes en entendant le cliquetis de la préparation du breuvage béni, on l’accueille par de grands cris de joie, tout non-habitués que nous sommes à recevoir tant d’égards. Elle nous regarde d’un air amusé, sert les autres, saisit ma tasse et commence à la remplir... Et dans un élan d’audace et de frime, je lui balbutie : "tapaiko nahm ke ho ?" (comment vous appelez vous ?). Et là, c’est le drame. Elle éclate de rire, perd le contrôle de ses mouvements, versant les ¾ de la théière sur la moquette et le quart restant sur mon bureau (et un peu dans la tasse). La moquette et l’ordinateur s’en sont sortis indemne, mais mon orgueil un peu moins. Je ne saurai jamais ce qu’elle a compris, mais je suis un peu plus prudente dans mon usage du népalais désormais.
Pour revenir au mot "didi", en fait, en népalais, on s’adresse aux femmes et aux hommes plus âgés en disant "didi" et "dai" (littéralement grande soeur et grand frère), et aux plus jeunes en disant "bahini" et "bhai" (petite soeur et petit frère). Cela devient assez compliqué quand il s’agit d’appeler un serveur qui est à l’autre bout de la pièce (et dont on ne peut analyser le grain de peau et les ridules, qui peuvent déterminer si l’individu à plus ou moins de 25 ans) et si l’on considère que la moyenne des népalais font 8 ans de moins que leur âge.
Ce dernier point me fait un peu souci pour la raison suivante. Lundi dernier, je suis restée à la maison pour rencontrer enfin ma femme de ménage et papoter panosse et éponges grattantes un moment. J’attends donc son arrivée, en triant les fourmis dans mes cornflakes assidument, quand on sonne enfin (le mot "sonner" n’ayant pas grand-chose à voir avec l’actuel bruit qui sort de mon interphone, mélodie distordue que je situe comme un croisement entre "Frère Jacques" et "Joyeux anniversaire" chanté par un robot bourré – un peu angoissant la première fois). Donc j’ouvre, et que vois-je ? une petite fille de 8-9 ans qui me gratifie d’un grand sourire sans rien dire. Alors je me dis "Bon c’est pas halloween, elle peut pas vouloir des bonbons, ptêtre qu’elle veut me vendre des cookies pour son camp scout" et là je me rappelle qu’on est pas aux Etats-Unis alors que c’est peu probable. Et soudain, un éclair de lucidité traverse mon esprit, confirmé par ses mots "I cleaning !". Comme bosser dans les droits de l’homme et faire travailler des enfants ne font pas bon ménage (sans mauvais jeu de mot), je suis bien décidée à lui demander son âge (à défaut d’avoir pris le temps d'analyser de manière approfondie son grain de peau). J’espère bien que ma théorie des 8 ans de décalage va se confirmer, car elle est très chouette et nous avons déjà des échanges écrits passionnants (voir photo).
Question débrouillardise, la népalitude augmente également. J’ai donc réussi à faire venir différentes choses utiles (internet, collègues, taxis...) jusqu’à chez moi malgré l’absence d’adresse grâce à ce merveilleux point de rencontre qu’est la banque Sunrise (que l’on peut apercevoir sur une des photos prises depuis mon balcon), à 2 minutes de ma maison, et que tout le monde connaît. L’épisode le plus absurde s’est déroulé mercredi dernier, alors que j’avais rendez-vous à 17h30 à la banque Sunrise avec le "water guy", pour qu’il m’amène un bidon d’eau potable. Il m’appelle à l’heure dite pour me dire qu’il aurait 10 minutes de retard. Comme me tapisser les poumons de goudron dans ce carrefour méga-pollué pendant tout ce temps ne me réjouis guère, je pars me balader dans les ruelles, acheter une papaye peut-être... Et là dans un croisement, je rencontre Marguerite, jeune vache très aimable que je gratouille gaiement entre ses deux petites cornes, toute ravie d’avoir trouvé une nouvelle amie (moi) (et elle aussi peut-être ?). Elle commence à manifester son contentement avec une joie non-dissimulée, se frottant le crâne contre mon sac avec ardeur, quand je réalise qu’il est l’heure de retrouver Water Man. Je m’en vais donc d'un bon pas, et ne réalise qu’après quelques mètres que je suis suivie ! Marguerite me colle, donnant des coups de corne au sac, réclamant encore des gratouilles. Je débarque donc à la banque Sunrise avec ma vache, devant l’air abasourdi de Water Man et son bidon.
Sinon, la vie se déroule tranquillement, entre petites soirées à siroter des bières "Everest" devant des groupes de jazz (non, je n’imaginais pas non plus qu’il y avait des clubs de jazz à Kathmandu – mais il s’avère que j’ai même manqué un évènement notable en la matière, le bien-nommé festival "Jazzmandhu" qui a eu lieu au début du mois dans toute la ville) et échange de ragots et d’opinion sur l’actualité... Est-ce que c’est un outrage que de comparer la bière Everest à la Gurkha ? Est-ce que la ministre de l’agriculture a eu raison de gifler 5 fois un chef de district parce que celui-ci l’avait accueilli avec une vieille voiture sans escorte policière (grand scandale de ces jours-ci au Népal : http://www.thehimalayantimes.com/fullNews.php?headline=Minister+spanks+Parsa+CDO+&NewsID=46235) ? Est-ce que se faire soigner une carie à Kathmandu équivaut à un suicide dentaire ? (après tentative, il s’avère que non, bien au contraire, l’intéressé ayant même repris rendez-vous pour un détartrage tellement l’expérience s’est révélée efficace, indolore et bon marché !) Est-ce que la tradition hindoue/bouddhiste de la "Kumari Devi" constitue une violation flagrante des droits de l’enfant ? Car oui, aujourd’hui, nous avons pu entrevoir la Kumari.
La Kumari est une déesse vivante prépubère dôté d’un pouvoir suprême, vénérée dans tous les foyers et célébrée lors d’occasions religieuses particulières. Elle est choisie à l’issue d’un rituel hautement élaboré, comprenant l’examen de 32 caractéristiques, dont la couleur de ses yeux, la forme de ses dents, son horoscope, et sa capacité à rester zen alors qu’elle est maintenue dans une pièce obscure où des hommes portant des masques de buffles dansent autour d’elles en poussant des cris terrifiants. Elle vit dans un palais divin à Kathmandu et montre son petit minois maquillé à la fenêtre de temps en temps, devant les yeux intrigués des touristes.
En gros, c’est donc une petite fille de 4 ans, enlevée à ses parents et menant une vie luxueuse mais on ne peut plus isolée (quoiqu’il paraît qu’elles ont accès à internet maintenant...) pendant une dizaine d’années, pomponnée et exhibée comme un objet de foire croulant sous les bijoux pendant les fêtes religieuse... et virée sans ménagement dès ses premières règles (forcément là elle devient impure donc elle perd son pouvoir divin). Sans compter qu'il est peu probable qu'elle puisse un jour se marier, étant donné qu'il est bien connu que quiconque épouse une ancienne Kumari risque fort de mourir étant donné la puissance phénoménale de ces femmes (ou tout du moins risque d'en baver sérieusement avec les caprices de ces princesses déchues).
Bref, vous avez compris mon point de vue dans le débat...
A bientôt pour la suite !